top of page

Grand-mère

J’ouvris la porte sans frapper et j’entrais comme j’en avais l’habitude. La vieille dame était assise de l’autre côté de la table dans la cuisine. Elle épluchait ses pommes-de-terre encore recouverte de boue. La terre lourde tombait sans bruit sur un ciré rouge, blanchit par les décennies. Sur le buffet, trônait une photo de moi, bébé, dans les bras d’un vieux monsieur qui n’occupait plus ces lieux. Je me souviens encore de sa salopette en jean trouvé et usé à l’odeur de poireaux, et de ses groles crottés que j’aimais enfiler pour aller dévorer les tomates à peine mûres.

​

- Grand-mère, appelais-je ? 

​

Elle se leva pour m’embrasser et je ne pus m’empêcher de constater qu’elle arborait son éternelle tunique droite de fermière à rayures bleues et blanches. Toujours impeccable ma grand-mère. Je ne connais pas son secret pour garder des vêtements toujours aussi frais. Le vinaigre blanc me disait-elle toujours en riant. J’avais surtout l’impression qu’elle se moquait de moi qu’elle renouvelait tous les ans sa penderie avec la même tunique droite à rayures bleues et blanches chez le même vendeur sur le même marché. 

​

- On va dîner, demandais-je ?

- Je me change et on part, répondit-elle joyeusement !

​

Elle se vêtit d’une jolie robe bleue, ornée d’une dentelle blanche et légère. C’était un habit que je lui avais offert pour son dernier anniversaire, plus moderne, plus gai.

​

De temps à autre, elle daignait bien porter ses beaux vêtements, du dimanche comme elle le disait, lorsque l’on allait à la friterie. Elle était pomponnée comme à ses vingt ans alors qu’elle allait dîner avec son jeune amant. Elle enfila ses chaussures noires et plates sans lacet et me prit le bras.

Elle sourit et rit. Ma grand-mère était heureuse et fier d’être avec moi, son petit-fils. Dans sa solitude quotidienne d’un autre temps, son sourire me montrait qu’elle avait eu une vie heureuse.

​

- Mon chapeau, s’écria-t-elle. Je ne peux pas sortir sans mon chapeau.

bottom of page